dimanche 9 novembre 2008

Article/L'engagement amoureux (Redpsy)

L'engagement amoureux
(http://www.redpsy.com/infopsy/engagement.html)

Introduction

Combien de femmes se plaignent du refus d’engagement des hommes qu’elles rencontrent! Combien d’hommes fuient comme la peste les femmes qui réclament leur engagement! Un grand nombre d’entre nous, des femmes surtout, exigent l’engagement de leur partenaire avant de se compromettre elles-mêmes dans la relation. Pour elles, la sécurité virtuelle procurée par l’engagement de l’autre est même un prérequis à leur investissement total dans la relation ou encore une condition «sine qua non» à s’y abandonner. C’est un sujet qui revient souvent en psychothérapie et le travail que nous effectuons à ce sujet est généralement bénéfique. Parfois il permet de redonner vie à une relation qui s’éteignait, d’autres fois de renouer une relation qui s’effritait et souvent il amorce l’approfondissement d’une relation qui autrement aurait été abandonnée, malgré une forte attirance au départ.

A- Un point de vue sur la relation amoureuse

Il serait trop long de définir ici la vision de la relation amoureuse sur laquelle s’appuie cet article. Je m’appuierai donc sur une série d’articles de Jean Garneau se rapportant à l’amour. Ces textes sur l’amour et la vitalité de la relation de couple sont disponibles dans la section infopsy du site www.redpsy.com et devraient être lus avant celui-ci. Les plus directement pertinents à cet article sont «L’amour contact» et «Évaluer la vitalité de ma relation de couple».

Voici un résumé très succinct des principaux éléments que j’en retiens pour cet article. J’invite toute personne à lire les articles suggérés si ces conclusions sommaires ne lui semblent pas suffisamment claires ou lui apparaissent mal fondées.

Deux individus à part entière

La relation de couple à laquelle je réfère dans cet article est celle où les partenaires choisissent d’être des individus à part entière. La relation leur sert à répondre à certains besoins psychiques, mais chacun continue de porter toute la responsabilité de ces besoins. Ceci ne signifie pas qu’ils veulent répondre eux-mêmes à ces besoins indépendamment de la relation; chacun porte ses besoins en ce sens qu’il prend lui-même l’initiative nécessaire pour obtenir satisfaction. Cette responsabilité implique nécessairement qu’on assume un risque: celui de ne pas toujours recevoir la réponse souhaitée.

Une relation mouvante par définition

Comme tout ce qui est vivant, la relation entre deux personnes est en mouvement continuel. Non seulement elle se transforme avec le temps, mais d’un moment à l’autre le vécu de chacun et le rapport entre les deux personnes se modifie sans cesse. La relation s’apparente donc au vécu émotionnel de chaque personne qui, lui aussi, est en mouvement continuel. Nous voyons donc, dans la relation, deux individus dont l’expérience émotionnelle et les besoins affectifs sont en mouvement constant et, par conséquent, une relation qui est en changement continuel. ( Cette notion du mouvement de l’expérience est décrite de façon plus détaillée dans «L’Auto-développement: psychothérapie dans la vie quotidienne» .)

La relation se transforme toujours continuellement, mais c’est seulement à certaines conditions que ce changement se fait dans le sens d’un épanouissement. Une des conditions les plus importantes de cette croissance c’est que chaque partenaire consente à l’existence de ses besoins psychiques et affectifs ainsi qu’à la nécessité d’agir pour les satisfaire (comme nous le faisons pour nos besoins d’ordre physique). Sans ce consentement fondamental, on assiste à une répétition du vécu qui se traduit la plupart du temps par la reprise fréquente des mêmes scénarios relationnels et des mêmes comportements stériles. (À ce sujet, les articles concernant le transfert sont particulièrement éclairants. Voir: «Le transfert dans les relations» et ceux qui y font suite.)

La permanence est un constat

Dans cette relation caractérisée par le mouvement continuel, la permanence du lien est une réalité qu’on ne peut que constater après un certain temps; elle ne peut jamais être décidée à l’avance ou devenir une promesse.

Cette promesse chère aux amants enflammés de faire durer leur amour n’est en réalité que l’expression d’un bonheur actuel qu’ils espèrent faire durer. En plus intense, elle ressemble à celle qu’on fait à des amis de se revoir très bientôt lorsque la soirée a été délicieuse. Rien ne garantit qu’on le fera; la promesse exprime avant tout notre désir de perpétuer le plaisir actuel. Combien d’amitiés de vacances restent sans suite malgré des promesses du genre!

Il faut donc se rappeler de cette réalité fondamentale: l’amour n’est pas un contrat mais une expérience vivante! Le mariage, par contre, en est généralement un: il fournit l’encadrement qui tend à assurer la sécurité qu’on considère comme la «gardienne» d’un amour durable. C’est sur un tel fondement que deux individus peuvent perpétuer une relation sans qu’elle soit «nourrissante». Il existe des milliards de relations dans lesquelles les individus régressent, s’éteignent ou se dessèchent plutôt que de se construire.

Mais ce dont il est question ici c’est plutôt d’une relation entre partenaires qui désirent répondre à des besoins psychiques et affectifs l’un avec l’autre. Et pour y parvenir, il doivent demeurer vivants: chacun doit rester vivant à la fois par lui-même et dans la relation.

Même si la permanence ne peut s’appuyer sur un engagement direct, il demeure que certaines attitudes et certains comportements peuvent la favoriser. Le lecteur pourra facilement repérer ces facteurs dans l’analyse que je propose un peu plus loin.

B- S’investir dans une relation et s’y abandonner ?

S’abandonner à la relation

Avant d’aller plus loin, voyons comment on peut considérer l’engagement et l’abandon dans cette vision humaniste de la relation amoureuse que présente l’Auto-développement.

Commençons par l’idée d’abandon car elle est la plus facile à expliquer. Il s’agit tout simplement de ne pas faire obstruction à la mouvance naturelle de la relation. En d’autres mot, il s’agit de rester vivant et de laisser la relation se développer en conséquence.

Par exemple, il s’agit de vivre sans tenter de contrôler la trajectoire de la relation en usant d’artifices. ne va pas du tout, mais pour ne pas ajouter à la perturbation, je fais comme si tout allait pour le mieux.»

Il s’agit aussi de vivre sans tenter de figer les bons moments. «Nous sommes particulièrement heureux ensemble en ce moment, donc je demeure immobile et n’exprime rien qui puisse intoduire quelque changement.»

De même, ignorer les mauvais passes c’est aussi faire obstacle au déroulement naturel de la relation. «Ce n’est rien, ça va passer tout seul.» Car s’il y a un passage difficile, c’est qu’il y a un problème qui doit être réglé pour que la relation continue son cours sans demeurer «handicapée».

Enfin, s’abandonner à la relation c’est la vivre sans chercher à l’enfermer dans des certitudes illusoires. «Je te promets de toujours t’aimer, de toujours être là.» C’est dans cette perspective que l’on parle du constat de sa permanence.

Au lieu de la viser comme un but, il s’agit de se comporter d’une façon qui peut la favoriser. Et la meilleure manière de la favoriser c’est de s’investir affectivement dans la relation.

J’expliquais un jour ce concept à un homme d’affaires très florissant qui accumulait les échecs dans ses relations amoureuses. Lui qui considérait comme une évidence la nécessité, en affaires, d’investir à long terme pour obtenir des résultats de qualité, me répondit: «Je n’aurais jamais pensé que c’est la même chose en amour». Pourtant il s’agissait d’un milliardaire plus que brillant.

S’investir dans la relation

S’investir dans la relation c’est essentiellement y être vivant et régler les problèmes qui surgissent inévitablement. Il ne faut pas l’oublier: une relation amoureuse réunit deux êtres distincts. Chacun a sa personnalité propre, un passé particulier qui a contribué à le façonner, des besoins affectifs particuliers (même si, pour l’essentiel, ceux-ci se ressemblent d’un humain à l’autre), des besoins individuels qui émergent rarement en synchronisme avec ceux de l’autre, des aspirations qui lui sont propres... une vie qui se déroule en-dehors de la vie à deux. En somme, plusieurs facteurs se combinent pour faire que la relation rencontre inévitablement des embûches à répétition, même sans considérer les perturbations découlant des inévitables de transferts respectifs. (Voir à ce sujet «Le transfert dans les relations» et «Aux sources du transfert» .)

C- L’engagement refusé: un faux problème

L’engagement qu’on tend souvent à exiger au seuil d’une relation de couple n’est pas la sorte d’engagement qui favorise la croissance et la vitalité dont il a été question plus haut. Sans le vouloir, c’est plutôt la sclérose qu’on recherche en demandant l’assurance rassurante de sentiments futurs inchangés. Quel que soit le secteur de la vie, la recherche de sécurité n’est jamais au service de la croissance. Elle constitue au contraire une tentative pour déterminer les directions où la vie pourrait nous amener.

«Dis-moi que tu m’aimeras toujours.» «Promets-moi que nous, c’est pour la vie.»

De telles promesses sont nécessairement impossibles; comment pourrait-on réellement garantir que nos sentiments resteront inchangés sans connaître à l’avance les événements qui pourraient les affecter? Même l’engagement à investir dans la relation pour en traverser les crises, une promesse apparemment plus réaliste, ne peut être que relatif car il suppose une motivation qui resterait intacte indépendamment des événements et du comportement de l’autre.

Je vais présenter maintenant un exemple typique de la demande d’engagement afin de montrer ensuite par quoi cette demande peut être remplacée si on veut permettre à la fois le mouvement et la croissance dans la relation. Je lui donne un titre qui évoque le rêve que bien des personnes caressent secrètement et que d’autres réclament plus ou moins ouvertement.

Si tu m’aimais vraiment, tu me promettrais de toujours m’aimer.

Julia aime passionnément Louis-Philippe depuis huit ans. Ils vivent ensemble depuis environ six ans, sans mariage toutefois. Dernièrement ils ont acheté une propriété ensemble, tous deux conscients que ce choix les liait encore davantage. Louis-Philippe est un père substitut exemplaire pour les deux enfants de Julia. Jusqu’à maintenant, il a traversé (avec courage) plusieurs tempêtes provoquées par les enfants de Julia ou par la relation tumultueuse de celle-ci avec son ex-mari.

Malgré une la grande implication de Louis-Philippe dans le quotidien de Julia et bien que ce dernier soit démonstratif de ses sentiments amoureux, cette dernière demeure insatisfaite. Elle se dit incapable de savourer totalement cet amour. Il lui semble que pour s’abandonner à la relation il faudrait que Louis-Philippe lui promette un amour permanent.

Celui-ci lui refuse toujours cette promesse. Parfois avec impatience, parfois calmement mais toujours fermement.

Au fond d’elle-même, Julia sait bien qu’il a raison: «l’amour ne peut pas s’accompagner d’une garantie» déclare-t-elle lorsqu’elle discute de ce problème avec ses amies. Rationnellement, elle est tout à fait d’accord avec le point de vue de Louis-Philippe, mais sa réaction affective reste imperméable à tous les raisonnements qu’elle se sert elle-même et qu’on lui sert depuis des années.

Il en est de même de son insécurité dans la relation: sa peur de perdre Louis-Philippe et sa conviction qu’il peut toujours trouver une femme plus intéressante qu’elle. Aucun «raisonnement» ne peut et ne pourra jamais la convaincre du contraire.

On peut se demander pourquoi Julia réclame ces déclaration de la part de Louis-Philippe. Pourquoi elle ressent le «besoin», comme elle le dit, d’une garantie sur son amour?

L’engagement de celui qui réclame

Julia est sincèrement convaincue que la solution à son problème résiderait dans l’engagement de Louis-Philippe. Elle est persuadée que si elle obtenait ce serment elle pourrait enfin se laisser aller et profiter pleinement de l’amour qu’il lui prodigue. C’est pour cela qu’elle ne peut renoncer à son attente, même si elle la qualifie elle-même de déraisonnable et d’impossible à combler.

Mais ce que Julia ignore, c’est que c’est elle qui a un problème d’engagement. C’est sa propre peur de s’engager à fond qu’elle projette aveuglément sur son conjoint. C’est ce qu’elle finira par comprendre en psychothérapie.

Mais un premier temps Julia nie vigoureusement toute réticence à s’engager. Comment pourrait-on croire qu’elle n’est pas impliquée à fond dans cette relation alors que Louis-Philippe “sait” bien qu’il est l’homme de sa vie. Ne le lui rappelle-t-elle pas “parfois”? Ne se montre-t-elle pas plus qu’aimante dans leurs rapports sexuels? Ne se plaint-elle pas régulièrement du fait que sa présence lui manque?

Toutes ces preuves peuvent effectivement être considérés comme les signes d’une forme d’engagement. Mais ce que Julia ne fait jamais, c’est de “livrer le fond de son coeur”, sans emballage ni manières subtiles d’en atténuer la portée. Et si elle n’y consent pas, c’est à cause de l’image d’enfant carencée qu’elle craint de donner d’elle-même. Une femme accomplie et indépendante sur le plan professionnel peut-elle donner une telle image d’elle-même? Julia y résiste de toutes ses forces et ce depuis le tout début de sa relation avec Louis-Philippe. (On peut supposer qu’elle avait la même attitude dans ses relations importantes précédentes).

D- Comment faire autrement?

L’expression de la demande exige moins que celle du besoin

Paradoxalement, Julia accepte (parfois) de faire connaître son attente impossible. On pourrait facilement s’en étonner. Pourquoi est-elle capable de demander une promesse d’amour alors qu’elle se refuse complètement à montrer son «besoin» d’amour?

C’est toujours la même chose que fait Julia depuis huit ans (en fait depuis toujours). Elle choisit de mettre l’accent sur sa demande tout en dissimulant son besoin et c’est justement ce qui l’amène à un piétinement stérile dans son développement psychique. Pourquoi continue-t-elle de faire ce choix, malgré la stagnation qu’elle constate assurément dans son cheminement à ce sujet?

Pour comprendre, il faut noter une subtile différence entre une demande d’implication de l’autre et l’implication de soi par la révélation d’un besoin affectif. C’est un piège dans lequel tombent sans s’en rendre compte même les adeptes les plus sophistiqués de la croissance personnelle.

Une partie de l’explication réside, je crois, dans notre environnement culture. Il est relativement acceptable, dans notre société, d’espérer être aimé pour toujours. Plusieurs institutions encouragent même depuis longtemps un engagement de cette nature. Une telle attente est si bien passée dans nos moeurs qu’elle semble relativement acceptable par les esprits modernes. Mais il en va tout autrement des besoins affectifs «infantiles»; ils qui sont d’emblée inacceptables, sinon carrément tabous, aux yeux de la plupart des gens. Laisser voir de tels besoins, c’est sans contredit se rendre très vulnérable: vulnérable à la fois au jugement et au rejet.

Pour Julia, comme pour la plupart d’entre nous, le risque affectif est trop grand. Et si Louis-Philippe la rejetait parce qu’elle manque de maturité affective? Julia est hantée par cette peur chaque fois que surgit en elle le besoin d’être rassurée sur l’amour de Louis-Philippe. Il lui arrive parfois de parler du sujet sur lequel elle se morfond, notamment pour expliquer l’origine d’une querelle que Louis-Philippe ne comprend pas. Mais chaque fois elle se garde de se livrer complètement. Elle transforme son besoin en demande: une demande à Louis-Philippe de «se mouiller» davantage dans la relation. Elle impose alors subtilement une pression à son amant plutôt que risquer de se compromettre totalement. Voici, par exemple, ce qu’elle aurait alors à lui exprimer :

- combien en ce moment elle est dans l’insécurité
- combien son amour est important pour lui donner l’impression d’être aimable etmême pour faire d’elle un être valable à ses propres yeux

Julia considère ces expériences affectives comme infantiles. C’est d’autant plus vrai qu’elle éprouve souvent ce besoin de se faire rassurer. À ses yeux, de tels propos n’ont aucun sens dans une relation entre adultes car ce sont des insécurités d’enfant.

Il est vrai que son insécurité provient de l’échec de ses attachements antérieurs, plus particulièrement avec sa mère qui l’a en quelque sorte abandonnée en tombant gravement malade alors qu’elle était encore toute petite. Ce sont des questions qu’elle a bien explorées en thérapie. Maintenant qu’elle en est consciente, elle espère devenir capable d’être raisonnable et de se comporter en adulte, sachant bien, après tout, que Louis-Philippe l’aime.

L’expression du besoin permet d’évoluer

Tout serait tellement plus simple si Julia parvenait à exprimer ce besoin chaque fois qu’il apparaît. Plus simple pour lui permettre de se développer dans cette relation, plus simple pour maintenir la vitalité de la relation, plus simple aussi pour établir la relation avec Louis-Philippe sur ses bases réelles lorsqu’elle se trouve en transfert avec lui. Enfin et surtout, une telle expression rendrait énormément plus simple et plus efficace sa conquête du «droit à l’existence».

En effet, les besoins vécus par Julia dans cet exemple se rapportent à la problématique d’un «transfert du droit à l’existence». (Voir «Transfert et droit de vivre» .) Louis-Philippe prend alors une valeur de mère substitut aux yeux de Julia. Elle attend de lui ce qu’elle n’a pas suffisamment obtenu de sa mère: la confirmation de fait qu’elle est un être aimable. Sans s’en rendre compte, Julia adopte avec Louis-Philippe la même attitude d’indépendance qu’elle prenait avec sa mère insuffisamment aimante. Elle restait muette et s’éloignait même, de peur de s’imposer. Aujourd’hui, avec son amant, elle tait son besoin criant pour des raisons semblables: il pourrait trouver son besoin insupportable et la rejeter pour s’en protéger.

Ceci conduit à un autre comportement paradoxal. La peur du rejet amène Julia à repousser l’amour de Louis-Philippe: elle n’en jouit pas entièrement et elle ne s’en nourrit pas complètement. Elle n’y croit pas tout à fait, elle s’imagine qu’il peut la tromper, elle a souvent des accès de jalousie et elle est persuadée que cet amour aura une fin. Cette dernière crainte devient une autre raison pour laquelle il lui semble dangereux de s’impliquer sans une véritable garantie. Mais en fait Julia a justement adopté la méthode la plus sûre pour que sa relation échoue :

se tenir sur la réserve, faire pression sur Louis-Philippe pour qu’il s’engage davantage, éviter de se laisser profondément toucher par son amour et en douter malgré des manifestations évidentes.

Selon mon expérience comme psychothérapeute, ce n’est pas le fait d’exprimer à son amoureux toute son importance qui le fait fuir. Ce sont les demandes d’investissement que l’on répète au lieu d’assumer ouvertement nos propres besoins. Ce sont les pressions indues et indirectes qu’on lui fait subir pour qu’il nous donne ce qu’il ne peut nous donner: la promesse d’une constance dans ses sentiments, l’assurance qu’on aura été la seule bonne amante dans sa vie, l’assurance qu’aucune autre femme n’attise son désir... en d’autres mots, l’exigence qu’il se compromette plutôt que de nous compromette nous-même. À mon avis, même l’homme souffrant du syndrome de «la corde au cou» peut supporter d’être revêtu de toute l’importance transférentielle que lui accorde sa conjointe. (Voir «N’y a-t-il pas d’amour heureux» par Guy Corneau.) Il suffit que cette importance ne lui soit pas assignée comme un poids, un devoir de délivrer des actes précis, une obligation d’éprouver ou de ne pas éprouver des sentiments particuliers.

L’expression du besoin affectif

La plupart d’entre nous sommes peu familiers avec la forme d’expression qui permet de sortir d’un piège de ce genre. Les conventions sociales et notre environnement culturel ne l’encouragent évidemment pas. Voici donc un aperçu des éléments qu’elle pourrait intégrer dans une situation comme celle de Julia. (Voir aussi «L’expression qui épanouit» par Gaëtane La Plante .)

L’expression par Julia de son besoin affectif exigerait qu’elle montre à Louis-Philippe l’importance réelle qu’il a pour elle. Elle lui exprimerait ses réactions émotives à propos de son besoin d’être aimée chaque fois qu’elles surviennent. De plus, dans la mesure où elle est consciente d’assimiler Louis-Philippe à sa mère, elle aurait avantage à reconnaître cette réalité afin de mieux intégrer cette expérience affective. Il est fort possible aussi, comme cela se produit souvent, que la conscience de ce transfert allège la responsabilité à laquelle Louis-Philippe pourrait se contraindre, lui-même tributaire de son propre transfert en face de Julia.

Voici donc la forme que pourrait prendre l’expression de Julia à l’égard de sa mère substitut.

Je tiens à toi comme à la prunelle de mes yeux.
Ton amour me valorise.
Chaque fois que tu t’éloignes, je crains de te perdre (même si je sais que c’est insensé).
Je suis jalouse du moindre regard que tu déposes sur une autre femme.
Je vis à peu près constamment dans la peur que tu en préfères une autre à moi (même si tu m’affirmes souvent que c’est moi que tu aimes).
Si tu t’éloignes pour ton travail, j’ai peur que tu te détaches de moi (même si ça n’est jamais arrivé depuis le temps que tu t’absentes régulièrement).
Si je te perdais, mon amour, ce serait la catastrophe.
Etc...
Sache aussi que je ne te demande pas de me donner ce que tu n’as pas envie spontanément de me donner parce qu’il s’agit de ton expression à toi. Je veux seulement te signaler que tu as toute cette importance pour moi.

Et Julia pourrait aussi exprimer ce qu’elle ressent au moment où elle reçoit ce qu’elle recherche sans l’avoir demandé. Par exemple :

Je me sens aimée par toi en ce moment et cela me fait un bien énorme.
Je suis heureuse quand tu me jettes un regard affectueux pendant que tu es occupé à aider le petit à ses leçons. (Je sais que c’est infantile, mais on dirait que j’ai besoin d’un regard amoureux constant de ta part.)
J’ai eu si peur que tu restes éloigné de moi longtemps après que je t’ai manifesté mon mécontentement hier.
Je suis soulagée de voir que ma colère ne t’a pas heurté.
Etc...

Et, si nous comprenons bien les enjeux réels d’une telle expression, nous pouvons ajouter qu’en agissant ainsi, Julia contribue justement à se donner le droit d’être qu’elle voudrait obtenir de Louis-Philippe. Elle s’accorde un droit qu’ils ne serait jamais capable de lui donner, le droit d’exister vraiment en contact avec sa mère et avec tous ceux qui en sont les substituts ou les équivalents.

Conclusion

J’espère avoir montré clairement l’importance de faire la différence entre la demande d’expression faite à l’autre et notre propre expression d’un besoin affectif. Chaque fois qu’il s’agit d’un besoin fondamental rattaché aux conquêtes de “la liberté de vivre”, chaque fois que celui-ci est vécu dans une relation transférentielle, cette distinction est cruciale et détermine les résultats qu’on peut espérer. On ne peut, sans perdre l’essentiel, faire l’économie de ce type d’implication personnelle. C’est le principal prix à payer pour assurer notre développement psychique et aussi notre croissance dans la relation.

Ces besoins fondamentaux sont nécessairement présent dans une relation aussi importante qu’une relation amoureuse. Si on les laisse se manifester uniquement dans les formes indirectes que nos craintes nous amènent à leur donner, ils deviennent la plupart du temps les germes de la destruction du couple ou de sa stagnation qui détruit la vitalité des partenaires. Mais si au contraire on s’emploie à en faire une expression complètement assumée comme celle que je présente dans cet article, on évite de nombreuses frictions stériles et on y gagne un épanouissement considérable et nos libertés les plus importantes.

Par Michelle Larivey, psychologue
Cet article est tiré du magazine électronique "La lettre du psy" Volume 6, No 9, Octobre 2001

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